L’effet catastrophique de la vague de froid dans le Golfe du Mexique
S’il était difficile de s’attendre à des baisses de prix ainsi qu’à une véritable stabilisation de l’offre européenne de polyoléfines et de PVC, la vague de froid intense qui s’est abattue sur le Golfe du Mexique au cours de la semaine du 15 février 2021 a entraîné une aggravation de la situation du marché européen et donc des hausses de prix du plastique.
Le Texas et la Louisiane sont en effet deux Etats clés pour la pétrochimie étasunienne, et des millions de tonnes d’éthylène, de propylène, de polyéthylène et de polypropylène y sont produites chaque année. Les sites de production de PVC et de précurseurs pour ce matériau, comme le VAM, y sont également nombreux. Ces installations n’ont en revanche pas été conçues pour résister au froid extrême, et comporteraient notamment de nombreuses canalisations exposées aux éventuelles intempéries. Le gel les a endommagées et le réchauffement de la région a provoqué l’explosion de nombreuses d’entre elles.
C’est donc sans surprise que ce phénomène météorologique exceptionnel s’est accompagné de nombreuses déclarations de forces majeures et d’arrêts de production outre-Atlantique. Si la crise du fret maritime compromet depuis des mois les exportations de polyoléfines produites aux Etats-Unis vers l’Europe, ces perturbations de la production viennent malgré tout perturber le marché international des polymères.
La demande de l’industrie asiatique, et en particulier de l’industrie chinoise, a en effet très bien redémarré depuis sa sortie de crise sanitaire l’année dernière. Les mesures sanitaires encore en vigueur pour lutter contre la propagation de l’épidémie ont également encouragé les classes ouvrières de la région à prendre moins de congés lors des vacances du Nouvel An chinois. Cette période s’accompagne traditionnellement d’un ralentissement de la production industrielle, ce qui laissait espérer un retour à la stabilité pour le marché européen des polymères techniques. L’accalmie attendue n’a cependant pas eu lieu, et les prix de ces polymères continuent à augmenter fortement, aux détriments de l’activité des plasturgistes.
Liste des Forces Majeures déclarées sur la chaîne de production des polymères aux Etats-Unis
Données du Platts à la mi-février
- Formosa Plastics : sur les PVC produits à Point Comfort (Texas) et Bâton Rouge (Louisanne) depuis le 18/02. 1.3 millions de tonnes annuelles impactées.
- Dow Chemical : sur le MMA, le VAM et d'autres substances intermédiaires (GMAA, BMA, GMA, 2EHA, BA...) depuis à Deer Park, Freeport, Texas City et Bayport au Texas, à Hahnville en Louisiane, ainsi qu’à Louisville dans le Kentucky.
- Celanese : sur l'acide acétique, le MMA et l'EVA. Le producteur avait d’ailleurs déclaré que ses clients européens étaient directement concernés
- Total : sur le PP à LaPorte (Texas). 1.15 millions de tonnes annuelles impactées.
- LyondellBasell : sur les PE. Tous les sites situés dans le Golfe du Mexique auraient été impactés.
- OxyChem : sur sa production locale de PVC et des précurseurs de ce dernier.
- Flint Hills Resources : sur le PP produit à Longview, au Texas.
- INEOS : sur sa production locale de PP.
Ces Forces Majeures s’accompagnent également d’un grand nombre d’arrêts de production non-signalés comme étant des Forces Majeures. La situation aux Etats-Unis est catastrophique : près de 80% des capacités de production de PEHD sont au point mort, contre 30% pour les PEBD-L. Environ 60% des capacités de production de PEBD sont également à l’arrêt.
70% des capacités de production nord-américaines de PP sont également impactées. 30% des lignes de production de PVC de la région sont également arrêtées, la plupart étant sous le coup de forces majeures.
La situation n’est guère meilleure en amont, avec seulement 30% des capacités de production d’éthylène nord-américaines encore actives. Environ la moitié des lignes de production de propylène de la région ont été arrêtées.
La paralysie de la filière s’est très rapidement traduite par des hausses des coûts des matériaux. Les prix spots du propylène (grades pour la fabrication de polymères) ont ainsi atteint des niveaux records lorsque deux des trois sites de déshydrogénation de propane du pays ont été arrêtés, en se fixant à 125 cts/lb au cours de la semaine du 15 au 22 février 2021.
Albert Chao, le CEO de Westlake Chemical, expliquait d’ailleurs le 23 février dernier que les températures extrêmes qui se sont abattues sur le Golfe du Mexique au cours de la semaine du 15 février 2021 ont mis hors service 75% des 40 millions de tonnes annuelles de capacités de production d'éthylène aux Etats-Unis, dont 100% des capacités de production du Texas.
Dans le même temps, la demande locale de polymères ne faiblit pas. Pour les pétrochimistes basés ailleurs dans le monde qui chercheraient à faire progresser leurs marges, la situation nord-américaine est une véritable opportunité. Dans un contexte de pénurie du marché mondial, toute exportations de matériaux vers les Etats-Unis contribuera toutefois à aggraver la situation des autres marchés régionaux et à y tirer les prix vers le haut.
La multiplication des arrêts de production aux Etats-Unis, qui nécessiteront encore plusieurs semaines avant d’être levés, n’est cependant pas la seule à provoquer l’augmentation des cours mondiaux des polymères.
Maintenances en vue en Asie et en Europe
En Asie, la saison des maintenances a déjà commencé, tant pour les PVC et que les polyoléfines, et s'étale en fait entre l'hiver et le printemps 2021. Elle doit en revanche commencer au printemps en Europe. Dans les deux cas, ces arrêts de production viennent perturber une offre déjà extrêmement tendue.
Aggravation des pénuries en Europe
L’Europe endure elle aussi des dizaines de cas de Forces Majeures et d’arrêts de production tout au long de la chaîne de valeur des polymères. Le printemps 2021 s’accompagnera de plusieurs cycles de maintenances qui viendront une fois de plus perturber les approvisionnements des plasturgistes.
En effet, les arrêts de production, certains datant de l’été 2020, encore en vigueur en Europe empêchent toute constitution de stocks suffisant chez les pétrochimistes. Cela signifie que ceux-ci n’ont aucune réserve de matériaux disponibles si par malheur d’autres pannes surviendraient, et qu’ils se révèlent également incapables de fournir correctement leurs distributeurs.
Si les Forces Majeures et arrêts de production étaient levés d’ici la fin du mois de mars, il faudrait tout de même compter au moins deux mois de production avant de retrouver des niveaux de stocks corrects pour répondre aux besoins de chaque acteur de la filière européenne. Les maintenances listées ci-dessous viennent allonger de 8 à 12 semaines supplémentaires ces délais, compromettant ainsi tout retour à la normale avant la fin du premier semestre 2021. Il est même possible, à en croire certains interlocuteurs du service Performance économique de Polyvia, que la situation ne s’apaise pas avant l’automne prochain.
Maintenances à venir sur les PEBD et les PEHD :
- HIP à Pancevo (Serbie) à partir du fin mars 2021
- Basell Orlen à Plock (Pologne) à partir de fin avril 2021
Maintenances à venir sur les polypropylènes
- Total à Feluy (Belgique) à partir de la mi-avril 2021. Ce seront près de 930 000 tonnes annuelles de capacités qui seront impactées
- Basell Orlen à Plock (Pologne) à partir de fin avril 2021.
Maintenance en cours sur le PVC
- Mexichem à Marl (Allemagne) à partir du 1er mars 2021
Des millions de tonnes de capacités de production impactées en Asie
La chaîne de valeur des polymères en Asie a quant à elle entamé sa saison des maintenances à la fin du mois de février dernier. La plupart de ces arrêts devraient durer jusqu’à la dernière semaine d’avril. Certaines maintenances doivent encore démarrer pour les polyoléfines.
PVC : maintien des prix suite aux maintenances
Six producteurs asiatiques de PVC ont ainsi lancé des cycles de maintenances sur leurs sites en février 2021. 2 millions de tonnes de capacités de production ont donc été temporairement arrêtées. Ce fut notamment le cas du site chinois de Tosoh Guanghzou et du site japonais de Taiyo Vinyl. La saison des maintenances pour le PVC va cependant gagner en intensité entre mars et avril.
Formosa et le pétrochimiste indien Reliance ont en effet prévu d’arrêter leurs sites de production au cours du mois de mars, soit plus de 900 000 tonnes de capacités annuelles de production de PVC impactées. Formosa prévoit également une autre maintenance pour un site taïwanais en avril. C’est également le cas de LG Chem en Corée du Sud.
Ces multiples arrêts de production devraient contribuer à maintenir les tensions déjà existantes sur l’offre de PVC en Avril. Les prix régionaux ont tendance à augmenter sensiblement depuis juin 2020, et il est possible que le cycle des maintenances permette à cette tendance haussière de perdurer encore plusieurs mois.
Polyoléfines : perturbations de l’offre à l’horizon
Le marché asiatique des polyoléfines souffre, lui aussi, d’un déséquilibre flagrant entre l’offre et la demande. Cette situation risque d’empirer du fait des multiples maintenances prévues sur des sites clés de la région.
Pour les PP, la saison des maintenances avait démarré dès janvier dernier avec l’arrêt des sites de HPCL en Inde et de IRPC en Thaïlande. Sinopec prévoit depuis une maintenance pour son site de Shanghai, qui impactera directement 450 tonnes annuelles de capacités de production de PP dès la mi-avril.
Plusieurs maintenances sont également prévues sur les PEHD en Chine. Un arrêt de ce type, démarré officiellement en janvier, est toujours d’actualité sur un site de Sichuan PC. Un autre cycle doit démarrer chez Fushun PC au cours du mois d’avril. La production de PEBD-L de ce dernier est également concernée.
Les sites de production de PEHD d’Indian Oil et de PTT Chemical en Inde sont également arrêtés pour maintenance plusieurs semaines. Il faut également prévoir l’arrêt du site de production de PEBD de PTT Polyethylene, en Thaïlande, au mois d’avril.
Ces interruptions de production, qui viennent s’ajouter aux arrêts déclarés par des fournisseurs basés au Moyen-Orient, viennent tarir un peu plus l’offre de polymères en Asie. De quoi maintenir les prix à un niveau élevé pour encore plusieurs semaines.
Europe : de nouvelles hausses de prix en mars pour les PE, les PP et les PVC
La situation européenne est catastrophique pour la filière plasturgie. Les événements du mois de février sont édifiants : les carnets de commande des producteurs auraient été clôturés dès la deuxième semaine pour les polyoléfines ou les PVC. Les fournisseurs ont soit déclaré n’avoir plus aucun stock disponible, soit volontairement cessé de prendre des commandes en prétextant ne pas être capables de répondre à la totalité de la demande pour leurs matériaux.
Le mois de mars devrait également s’accompagner de hausses de prix pour les PE et les PP. Au-delà des graves tensions sur l’offre, il y a peu de chance que les importations de matériaux puissent reprendre ce mois-ci du fait des difficultés logistiques et des arrêts déclarés aux Etats-Unis. Il en sera probablement de même pour les PVC.
En effet, l’absence prolongée des polymères produits aux Etats-Unis sur le marché européen assèche le continent. L’Europe importait en effet 10 millions de tonnes de PE par an, soit 8% des volumes exportés par les Etats-Unis.
Les exportations de PVC vers la Chine et le Moyen Orient sont également contrariées. Cela signifie que ces régions vont chercher à s’approvisionner ailleurs dans le monde. Les niveaux de prix chinois, en général jugés intéressants par les fournisseurs de PVC, pourraient inciter des acteurs européens à exporter des volumes produits en Europe, aggravant la situation des plasturgistes locaux. L’offre européenne de PP est quant à elle moins concernée, puisque la production étasunienne est généralement destinée au Canada et au Mexique.
Mars pourrait donc être le 5ème mois de hausses consécutif pour les prix des polyoléfines. Ces augmentations de prix se sont d’ailleurs faites plus importantes à partir de janvier dernier. Pour les plasturgistes, l’acte d’achat devient difficile puisque certaines offres, proposées à des prix très élevés, ne seraient valables que pour quelques jours, voire quelques heures. Les rares lots de matériaux mis sur le marché s’arrachent en effet à prix d’or dans la mesure où certains industriels font du maintien de leur activité une priorité.
A cela s’ajoute le fait que les cours des monomères ont une nouvelle fois augmenté. Celui de l’éthylène a en effet franchi le seuil des 1000 euros/tonne en augmentant de 75 euros/tonne en début de mois. La hausse est beaucoup plus dramatique pour le propylène, puisqu’elle s’est fixée à 118 euros/tonne.
Ces hausses de prix, toujours plus importantes, sont particulièrement difficiles à encaisser pour les plasturgistes qui voient leurs marges fondre comme neige au soleil. En effet, de nombreux industriels rencontrent des difficultés quand il s’agit de reporter ces variations de coûts sur leurs clients, puisqu’ils doivent aussi reporter celles des cours du fret. Certaines entreprises risquent de plus de devoir arrêter leurs lignes de production faute de matériaux, alors que la demande en aval est bonne. Certains ont déjà réduit leurs taux de production pour éviter ce scenario. Plus que sa relance économique, c’est désormais la survie de la filière qui est en jeu.