Crise sanitaire : substitution des plastiques recyclés au polymères vierges
Les nombreux cas de Forces Majeures déclarés sur la chaîne de production des polymères tout au long de la crise sanitaire ont engendré de graves pénuries des matériaux vierges. Ces dernières se sont assorties de fortes hausses de prix, aussi de nombreux plasturgistes, en France et ailleurs en Europe, ont-ils eu le réflexe de privilégier les matières plastiques recyclées lorsque cela leur était possible.
L’impact des pénuries sur la production de plastique recyclé
Le phénomène qui en a découlé est comparable à celui que l’on observe, quoique sur une durée plus longue, sur le marché des bioplastiques. La demande de polymères recyclés a en effet brutalement augmenté, or les recycleurs ne sont pas forcément en mesure de faire progresser rapidement leurs volumes de production pour satisfaire un fort rebond de la demande.
Cela s’explique d’une part par les volumes limités de capacités installées des recycleurs européens (8.5 millions de tonnes/an selon Plastics Recyclers Europe), et d’autre part par leur difficulté à s’approvisionner en déchets plastiques pendant, et après, la pandémie. En effet, ces derniers se font de plus en plus rares, tant pour les flux post-consommation que post-industriel.
Les quantités disponibles des premiers ont été réduites par le ralentissement de la collecte et du tri dans certaines zones européennes au cours des confinements successifs, et les quantités des seconds par la fermeture de nombreuses entreprises pendant la crise. Les prix des polymères ont depuis explosé, des pénuries ont eu lieu, et l’ensemble de ces phénomènes continuent à perturber la production et les approvisionnements de matières plastiques recyclées.
Retour de la compétitivité des plastiques recyclés
Les pénuries de matériaux vierges ont contribué au retour de la compétitivité des plastiques recyclés en termes de prix. L’exemple le plus parlant est sans doute celui des polyoléfines. Le marché européen a en effet été inondé par des PE et des PP produits à bas coûts aux Etats-Unis entre 2017 et début 2020. Certains grades étaient proposés au prix du monomère en Europe, soit bien en-dessous des 1000€/tonne. Il était alors impossible pour les recycleurs européens de s’aligner sur de tels niveaux de prix.
La donne a depuis changé. Selon l’édition de septembre 2021 du Baromètre des Matières Plastiques de Polyvia, les plasturgistes français ont acheté du PEBD au prix moyen de 1966€/tonne. La même enquête révèle que le prix d’achat moyen du PEBD recyclé était de 988€/tonne sur la même période. Le constat est le même pour les autres matériaux. Le prix moyen du PEBD-L vierge était de 1768€/tonne, contre 1124€/tonne pour le PEBD-L recyclé. Les répondants au BMP ont en moyenne acheté leur PEHD injection vierge au prix de 1797€/tonne, contre 1177€/tonne pour son équivalent recyclé. L’écart est également important pour le PP : les prix grades homopolymères et copolymères vierges s’élevaient respectivement à 1980€/tonne et 2030€/tonne en moyenne en septembre dernier, contre 1375€/tonne pour le PP recyclé.
Les polyoléfines recyclées bénéficient actuellement d’une compétitivité-prix hors norme, alors que leurs niveaux de prix ont rarement été aussi élevés. C’est également le cas du PVC recyclé, toujours si l’on en croit les résultats du Baromètre des Matières Plastiques de Polyvia.
En effet, les plasturgistes français ont acheté du PVC émulsion au prix moyen de 2295€/tonne en septembre dernier, et du PVC suspension au prix moyen de 1591€/tonne le même mois. Le prix moyen d’achat du rPVC était alors de 1195€/tonne.
La consultation des indices de prix européens laisse entendre qu’il en va de même pour plusieurs autres familles de matériaux. Le prix du PS vierge était supérieur à 2000€/tonne en octobre 2021, alors que celui du PS recyclé orbitait plutôt autour de 1000€/tonne. Ceux de l’ABS vierge dépassaient largement 3000€/tonne, alors que ceux des grades recyclés tournaient autour de 2500€/tonne. Les rPA 6 étaient proposés environ 400€/tonne moins chers que les grades vierges.
Ce phénomène est d’autant plus intéressant que l’écart de prix entre les polymères vierges et leurs équivalents recyclés constituait l’un des freins à l’adoption de ces derniers. Ce constat ne tient cependant pas compte de la concurrence des matériaux « off-grade », pour lesquels il est difficile d’obtenir un ordre de prix. Il s’agit de matériaux vierges comportant des défauts esthétiques bloquant pour certaines applications, mais pas pour d’autres. Ils sont souvent issus d’un changement de production sur un site pétrochimique, et sont mis sur le marché à des prix moins importants que ceux des grades vierges officiels, tout en proposant des propriétés mécaniques équivalentes.
Des substitutions définitives ?
La compétitivité-prix des polymères recyclés permet d’accélérer leur adoption par les plasturgistes, mais ces substitutions s’ancrent-elles dans le long-terme ? L’évolution rapide du cadre réglementaire évoquée plus haut, ainsi que le mouvement de « plastic bashing » continu, pourraient contribuer à rendre ces changements permanents.
Si la demande européenne de polyoléfines recyclées est avant tout portée par des applications hors emballage, celle de ce segment particulier est en forte progression pour les solutions non soumises aux exigences pour le contact alimentaire.
L’accélération de la demande de plastiques recyclés en 2021, toutes applications confondues, s’explique également par le lancement de projets qui avaient été retardés l’année dernière en raison de la crise sanitaire. On peut également tenir compte de la bonne reprise économique des segments de la construction, de l’ameublement extérieur et du jardinage qui sont déjà de grands utilisateurs de résines recyclées. La demande européenne de rPP en mars 2021 était par exemple supérieure de 20% à celle de mars 2020, selon ICIS.
Plastique recyclé : risque de pénuries
L’offre européen de bale de déchets se tend depuis plusieurs mois, et ce pour de nombreuses familles de matériaux. Il semblerait que la hausse de la demande du secteur de l’emballage mette en évidence les problèmes de collecte et de tri rencontrés par certaines régions. On observe ainsi un début de pénurie sur plusieurs marchés avals, dont ceux du rPET, du rPEHD, du rPP et du rPVC. Selon ICIS, ces déséquilibres entre l’offre et la demande devraient perdurer en 2022.
La problématique de la collecte des déchets
La collecte des déchets plastiques ne progresse pas aussi rapidement que la demande pour ces derniers. Ces activités sont principalement gérées par les autorités locales, et l’investissement dans les systèmes de collecte s’est avéré limité depuis la crise financière de 2008. ICIS affirme que les capacités actuelles de collecte en Europe sont à peine capables de couvrir 1% de la demande de polyoléfines vierges du continent. Ce chiffre est d’autant plus inquiétant que de nombreux donneurs d’ordre commencent à fixer des objectifs d’incorporation de matières plastiques recyclées dans leurs produits, en particulier dans le secteur de l’emballage.
Rebondissements sur le marché des déchets plastiques
Ces pénuries de bales de déchets encouragent certains acteurs à créer des coentreprises, voire à fusionner. La saga Veolia/Suez est l’un des exemples les plus parlants, avec la coentreprise formée par EEW Energy from Waste GmbH (EEW) et DSD - Duales System Holding GmbH & Co. en Allemagne. ICIS pressent également la formation de coentreprises entre recycleurs et spécialistes de la gestion des déchets, ainsi qu’un rebond des investissements dans les systèmes de tri de déchets mixtes.
C’est pourtant ce type de déchets plastiques en particulier que les acteurs du recyclage chimique souhaitent utiliser. En effet, la plupart des études de faisabilité des différents projets européens de recyclage avancé des polymères se basent sur le fait que les sociétés de gestion des déchets seront prêtes à payer pour se débarrasser des bales de déchets plastiques, ou vendront les bales de déchets partiellement triés à bas prix.
Ce postulat n’est pas étranger à la réalité : le coût de l’incinération ou de la mise en décharge a tendance à augmenter depuis plusieurs années, et la possibilité de vendre ou de payer à moindre coût ces déchets aux recycleurs chimiques peut être alléchant. Ces mêmes déchets sont en revanche de plus en plus recherchés par la filière du recyclage mécanique, et la compétition pour ces derniers risquent de s’intensifier. La perspective de voir des acteurs de la gestion des déchets payer un recycleur chimique pour s’en séparer parait donc de moins en moins probable.
La demande de matières plastiques recyclées ne risque quant à elle pas de ralentir. Les tensions structurelles sur l’offre risquent cependant de contrarier les ambitions des plasturgistes souhaitant incorporer de plus en plus de polymères recyclés dans leurs produits. Il faut donc s’attendre à un maintien des prix des plastiques recyclés à un niveau élevé en 2022, ainsi qu’à des difficultés d’approvisionnement.
L’implémentation imminente de la « plastics tax » sur les emballages en Espagne et au Royaume-Uni en 2022, et a priori un peu plus tard en Italie, et l’approche des objectifs fixés pour 2025 par de nombreuses grandes marques, risquent par ailleurs de renforcer le phénomène d’augmentation de la demande l’année prochaine.