Perspective économique : les approvisionnements matières

22 novembre 2021
Perspective économique : les approvisionnements matières
Avec les dépenses de personnel, le poste matières est en général l’élément principal de la structure de coût des plasturgistes. Ainsi, les matières premières représentent en moyenne 45% de la valeur de la production. Cependant, la part matières varie énormément d’une entreprise à l’autre : de moins de 10% pour certains produits (de petite taille et/ou à forte valeur ajoutée) à plus de 80% pour certaines productions (en général des gros volumes comme l’extrusion de profilés).

Comme évoqué plus haut, le marché pétrochimique européen se positionne, en termes d’importance et de volumes produits, après ceux de la Chine et des Etats-Unis. Il est essentiellement devenu un marché d’importation depuis les années 2010. La production européenne de polymères, qu’il s’agisse de polyoléfines, de PVC, de dérivés du styrène (PS, ABS), ou de matériaux techniques (PA, PBT…), est en général déficitaire.

Dans la mesure où l’offre locale ne suffit pas à répondre à la demande des plasturgistes européens, ces derniers se trouvent souvent contraints d’importer des matériaux. Cela leur est également parfois demandé par leurs donneurs d’ordre, qui préfèrent homologuer certains grades polymères produits ailleurs qu’en Europe. Certains grades polypropylènes médicaux ne sont par exemple pas produits sur le territoire européen. Un donneur d’ordre peut décider unilatéralement d’utiliser uniquement ce grade spécifique pour la production de son dispositif médical, même s’il en fait sous-traiter la fabrication par un plasturgiste basé en France. Les homologations étant coûteuses et chronophages, il est rare d’avoir plus de deux grades homologués pour un même produit.

A cela s’ajoute le fait que la pétrochimie européenne est vieillissante, et que certains sites de production s’approchent de l’obsolescence. Si certains fournisseurs n’hésitent pas à investir pour augmenter leurs capacités de production, notamment pour les polymères techniques, nombreux sont ceux qui n’investissent plus, ou très peu, dans la production de polymères vierges. Cela s’explique avant tout par l’évolution rapide du cadre réglementaire européen. La Directive « SUP » sur les emballages plastiques à usage unique ou encore la création de filières REP (responsabilité élargie du producteur), mais aussi l’engouement des grands donneurs d’ordre pour les stratégies RSE, tendent à remettre en question l’utilisation de polymères vierges.


Les pétrochimistes européens, dont les marges sur les matériaux vierges ont été pendant plusieurs années rognées par les prix hautement compétitifs de leurs concurrents basés aux Etats-Unis, semblent donc miser sur les matières plastiques recyclées, et en particulier le recyclage chimique.

D’après le rapport sur le recyclage chimique de 2020 de Polyvia (Organisation professionnelle de la Plasturgie en France), 49 projets différents ont été annoncés en Europe l’année dernière.

Il s’agit aussi bien d’investissements pour la construction de sites de recyclage chimique sur le territoire européen, que de travaux de R&D ou de créations de partenariats entre startups et pétrochimistes.

En somme, la production de polymères vierges en Europe est menacée à moyen-terme, et les plasturgistes dont les applications ne permettent pas l’utilisation de matières plastiques recyclées, tant en termes de critères normatifs pour les matériaux issus du recyclage mécanique que de prix pour ceux issus du recyclage chimique, s’en trouvent vulnérabilisés.

Ces arrêts de production en aval de la chaîne de valeur de la pétrochimie ont entraîné une chute rapide de la demande européenne de polymères vierges. Les pétrochimistes ont donc souvent fait le choix d’arrêter leurs lignes de production, à la fois pour s’adapter à la diminution ponctuelle du nombre de commandes, mais aussi en raison de la réduction des effectifs pouvant être présents sur site.

Comme évoqué plus haut, de nombreux complexes pétrochimiques européens où sont produits des polymères souffrent d’obsolescence. La fin du premier confinement a entraîné des tentatives de redémarrage de ces derniers. Si certaines se sont bien passées, plusieurs ont fait l’objet d’incidents plus ou moins graves (pannes électriques, incendies, apparition de fissures sur les pipelines…). Ces arrêts imprévus ont souvent conduit les pétrochimistes à déclarer des cas de Force Majeure sur leur production de polymères, avec de nombreux problèmes sur les polyoléfines et les PVC en particulier. Un phénomène comparable s’est également produit au niveau de la chaîne de production des monomères en Europe. L’ensemble de ces difficultés a commencé à entraîner des pénuries. Les pétrochimistes dont les sites fonctionnaient normalement peinaient à s’approvisionner en monomères et ne pouvaient donc pas produire autant de polymères que d’habitude, et plusieurs sites étaient paralysés par des pannes.

La sortie du second confinement s’est assortie de phénomènes similaires, tant sur la chaîne de production des monomères que des polymères. La pénurie était alors devenue mondiale. Le redémarrage économique de la Chine, survenu plus tôt que pour le reste du monde, s’est caractérisé par un appétit vorace pour les polymères. La production asiatique de polymères ne suffisant pas à couvrir les besoins chinois, il s’en est suivi un phénomène d’importations massives de matériaux produits en Europe et aux Etats-Unis.

En effet, l’explosion de la demande chinoise a engendré une différence de prix importante entre la Chine et l’Europe, et plusieurs fournisseurs européens ont fait le choix d’exporter pour en profiter. La pénurie s’est donc aggravée sur notre territoire.

Le mois de février 2021 a également été le théâtre de la tempête Uri dans le Golfe du Mexique, où se situent la plupart des complexes pétrochimiques des Etats-Unis. Ces derniers n’ayant pas été conçus pour affronter des températures inférieures à 0°C, l’épisode de gel intense qu’a connu la région a entraîné d’importants dégâts. Des dizaines de Forces Majeures sur l’ensemble de la chaîne de production des polymères ont été déclarées en seulement quelques jours, sur un marché déjà en situation de pénurie. Ici aussi, les Etats-Unis ont tenté d’importer des matériaux produits ailleurs dans le monde, notamment en Europe.

En plus de la priorisation du marché chinois par de nombreux fournisseurs, qu’ils soient basés en Europe, en Asie, au Moyen Orient ou en Amérique du Nord, le marché européen des polymères a également souffert de la crise du fret maritime. Celle-ci a en effet participé à la réduction drastique des importations de polymères en Europe, et le marché ne saurait être soulagé tant que les volumes importés ne retrouvent leurs niveaux d’avant crise.

Graphique problèmes d'approvisionnements matières plastiques

Source : Baromètre des matières plastiques Mai/Juin, Polyvia 2021

Ces pénuries de polymères ont pu avoir des conséquences graves pour certains plasturgistes français. Une enquête menée par Polyvia 9 en juin 2021 révélait que 46% d’entre eux ont dû arrêter au moins l’une de leurs lignes de production (partiellement ou complètement).

Parmi eux, 43% ont dû arrêter deux à trois de leurs lignes de production, contre 23% qui ont dû en arrêter quatre à cinq.

Ces arrêts de production ont également impacté la performance économique des plasturgistes français. 73% d’entre eux ont réalisé un CA au moins 20% inférieur à leurs prévisions en juin dernier. 23% regrettaient des performances de 21% à 39% inférieures à leurs prévisions pour cette même période. Enfin, 23% ont déclaré avoir eu recours au chômage partiel à cause des pénuries de polymères.

37% des plasturgistes français signalaient également pâtir de retards de production10. Ils étaient également 32% à témoigner de retards de livraison à leurs clients, et 29% à déplorer d’importantes pertes de marge en raison des fortes hausses de prix des matériaux.

Evolution des prix de polymères en Europe

En plus de l’indisponibilité de la plupart des polymères, les plasturgistes français ont également dû conjuguer avec d’importantes hausses de prix. Comme le montre le graphique ci-dessus, les prix européens du PEHD pour l’injection ont en moyenne augmenté de 57% entre mai 2020 et juin 2021. Ceux des grades PP homopolymères pour l’injection ont augmenté de 84% sur la même période, contre une hausse de 77% pour les PVC. Les prix des grades PS General Purpose ont quant à eux enregistré une hausse de 61% entre mai 2020 et juin 2021, et ceux des PA 6 naturels une augmentation de 38%. Des variations de prix d’autant plus difficiles à encaisser qu’au moins 29% des plasturgistes français 11 déclarent ne pas avoir pu les reporter au moins en partie sur leurs clients. De nombreuses entreprises ont également expliqué à Polyvia avoir pu reporter ces hausses de prix à leurs clients une, voire deux fois, mais que les donneurs d’ordre refusent désormais les augmentations successives.

On notera également que, lorsque cela leur a été possible, les plasturgistes ont préféré utiliser des matières plastiques recyclés. La demande pour ces dernières a cependant fortement augmenté en quelques mois, ce qui a entraîné des hausses de prix ainsi que, là encore, des difficultés d’approvisionnement plus ou moins importantes. Les recycleurs étant eux-mêmes confrontés à la hausse du prix des déchets plastiques et à la raréfaction de ceux-ci, il est fort à parier que ce marché demeure congestionné encore quelques temps.

La crise des approvisionnements en matières plastiques est emblématique d’une problématique structurelle à laquelle sont confrontés les plasturgistes français. Leurs fournisseurs locaux rencontrent de plus en plus de problèmes sur les sites qu’ils exploitent et n’hésitent pas à arrêter les livraisons en déclarant des Forces Majeures. La pandémie a quant à elle mis en lumière la dépendance de l’Europe vis-à-vis des polymères produits ailleurs dans le monde, en interrompant abruptement les importations. Des problématiques particulièrement épineuses à l’heure où l’on encourage les industriels à relocaliser.