Un marché en pénurie au moment où la demande reprend du poil de la bête
On l’avait senti au second semestre 2020 : les prix des polymères techniques allaient augmenter au cours des mois à venir. Les producteurs de ces matériaux avaient en effet affiché leur volonté d’améliorer leurs marges. De nombreux plasturgistes se retrouvent ainsi pris en étau entre leurs fournisseurs et leurs donneurs d’ordre, les premiers augmentant leurs prix et les seconds réticents à l’idée de reporter ces hausses sur leurs prix d’achats. A cela s’ajoutent de graves difficultés d’approvisionnement pour l’ensemble de la filière, et certaines entreprises pourraient bien être contraintes d’arrêter une ou plusieurs lignes de production, et ce alors que la demande des secteurs en aval a bien repris !
Si des fenêtres d’importations pourraient bientôt apparaître pour les polyoléfines, ce n’est pas le cas pour les polymères techniques, qui souffrent d’ailleurs de la pénurie mondiale de containers et de l’explosion des cours internationaux du fret. Les transformateurs utilisant ces matériaux doivent également se préparer à plusieurs cycles de maintenances, notamment sur les monomères, prévus pour le printemps et l’été 2021.
Si la crise actuelle touche l’ensemble des polymères utilisés par les plasturgistes, les acheteurs de matériaux techniques sont impactés depuis plus longtemps. Les utilisateurs d’ABS/PC ont particulièrement souffert, avec des hausses de près de 100 euros/tonne en décembre 2020, suivies de hausses à trois chiffres en janvier, puis en février 2021. Les acheteurs de PA 6 ont également dû absorber des augmentations supérieures à 100 euros/tonne en ce début d’année, alors que les niveaux de prix étaient déjà élevés pour ce matériau.
Ces hausses de prix ont toutefois été contrariées par la pénurie mondiale de puces électroniques, qui perturbe normalement la chaîne de valeur de l’industrie automotive, dont la plasturgie fait partie des sous-traitants. De nombreux constructeurs automobiles ont d’ailleurs annoncé l’arrêt temporaire de certaines de leurs usines. Les augmentations des prix des polycarbonates et des PA 6.6 ont ainsi été limitées, bien qu’elles demeurent très élevées. Ces deux polymères sont en revanche difficiles à trouver, et de nombreux plasturgistes font actuellement face à des ruptures d’approvisionnement plus ou moins impactantes.
En effet, l’offre pour ces matériaux s’est sensiblement tarie au cours des derniers mois, alors que la demande a quasiment retrouvé son niveau d’avant crise. Ce déséquilibre devrait perturber au moins pendant le premier semestre, puisque les importations en provenance d’Asie sont bloquées, a priori pour encore plusieurs semaines.
A cela s’ajoute le fait que certains plasturgistes tentent d’utiliser d’autres matériaux pour se prémunir des pénuries en vigueur sur leurs polymères habituels. La demande de PMMA a ainsi augmenté puisque certains transformateurs ont cherché à le substituer au PC transparent. Des acheteurs de PA 6.6 ont quant à eux préféré commander du PA 6 pour les pièces où la transition est possible.
Le cas particulier des polyamides
Les mauvaises nouvelles s’enchaînent pour les chaînes de valeur des PA 6 et 6.6. Les prix de ces matériaux augmentent fortement depuis l’automne dernier au fur et à mesure que la demande redécolle et que l’offre s’écroule au fil des semaines.
La pénurie est réelle, et certains plasturgistes européens sont prêts à payer des prix élevés pour pouvoir mettre la main sur des lots de matériaux, même si ceux-ci ne sont pas forcément suffisants pour assurer un niveau normal de production. Comme pour les autres polymères techniques, la situation ne devrait pas revenir à la normale avant la fin du premier semestre 2021. En effet, seulement la moitié des volumes habituels de PA 6.6 seraient actuellement disponibles, et il faudra du temps à l’offre pour retrouver un niveau satisfaisant.
Cette pénurie trouve ses racines au début de l’année 2020, lorsque les producteurs européens de polyamides ont ralenti leur rythme de production pour faire face à la chute dramatique de la demande provoquée par le confinement de nombreux pays européens. Certains d’entre eux auraient d’ailleurs rencontré des difficultés techniques en raison de ces rythmes de production réduits.
L’accélération du rythme de production à l’automne a ensuite coïncidé avec la saison des ouragans aux Etats-Unis, qui a notamment provoqué un cas de Force Majeure chez Ascend en Floride ainsi que d’autres arrêts de production. Les importations de matériaux produits en Amérique du Nord ont ainsi ralenti, et la hausse des prix observée outre Atlantique a pu intéresser des producteurs européens.
Les prix européens des PA 6 auraient ainsi augmenté de 500 euros/tonne en moyenne entre octobre 2020 et janvier 2021, contre 700 euros/tonne pour les PA 6.6. Ces derniers dépassent désormais le seuil critique des 3000 euros/tonne, parfois de beaucoup en fonction des grades.
Blocages au niveau de l’amont de la chaîne de production des PA
Les problèmes de production observés aux Etats-Unis et le redémarrage de l’industrie chinoise ne sauraient cependant être les seuls facteurs derrière la pénurie européenne de polyamides. On constate en effet plusieurs arrêts de production en amont de la chaîne de valeur de ces matériaux.
L’offre d’adiponitrile (ADN), une substance utilisée dans la production de PA 6.6, est par exemple limitée. Le seul site de production européen, basé à Chalampé en France, rencontrerait des difficultés de remise en route après avoir fait l’objet de travaux pour augmenter ses capacités de production et convertir certaines lignes. Il ne tournerait donc pas à 100% de ses capacités de production, et ce depuis des semaines. A cela s’ajoute la maintenance d’Invista aux Etats-Unis. Le cycle a démarré en début d’année. Cela signifie qu’une grande partie des capacités mondiales de production d’ADN ont été amputées.
La situation n’est guère meilleure pour le marché mondial de l’acrylonitrile (ACN), qui est utilisé pour fabriquer du PA 6. Ineos a en effet déclaré un cas de Force Majeure pour ses sites de production en Allemagne et Royaume-Uni en décembre dernier. Il faut également tenir compte du ralentissement du rythme de production d’un site Russe. Moins de 60% des capacités européennes de production d’ACN seraient actuellement opérationnelles.
Une autre Force Majeure est à déplorer en Louisiane, chez Cornerstone Chemical, depuis le début du mois de février. Il est possible que cet arrêt ait été causé par les grands froids qui paralysent actuellement le Golfe du Mexique.