Guerre en Ukraine : comment réagir aux perturbations des chaînes d’approvisionnement ?

20 juin 2022
Le coût humain de la guerre en Ukraine est incommensurable. Alors que le monde est confronté chaque jour à l’horreur et à l’immédiateté des conséquences de ce conflit, les entreprises cherchent aussi à anticiper les impacts secondaires que l’invasion de l’Ukraine par la Russie aura sur leurs employés, leurs clients, leurs opérations et leurs chaînes d’approvisionnement.

Les entreprises ne sont toutefois pas étrangères aux problématiques d’approvisionnement puisque de nombreux événements perturbateurs se sont produits au cours de la décennie passée : du tsunami qui s’abattait sur le Japon en 2011 à la pandémie de 2020, en passant par les ouragans dans le Golfe du Mexique, les terribles incendies en Californie, le blocage du Canal de Suez ou encore le conflit en Crimée et les sanctions à l’encontre de la Russie qui l’avaient suivi. 

La pandémie a d’ailleurs révélé au grand jour les multiples vulnérabilités des chaînes d’approvisionnement mondialisées. Les multinationales ont donc rapidement décidé de revoir leurs stratégies sur ce point en particulier, avec a priori un élan vers la relocalisation lorsque cela est pertinent. Si les entreprises ont pu tirer des conclusions de la crise sanitaire mondiale, il est en revanche peu probable qu’elles aient une bonne visibilité sur les conséquences que la guerre en Ukraine pourrait avoir sur leurs chaînes d’approvisionnement. Il s’agit après tout d’un des événements les plus significatifs en termes de risque militaire pour l’Europe depuis plusieurs décennies.  

Au-delà de savoir comment une société pourra continuer à livrer ses clients, il s’agit également de déterminer si le coût du maintien de l’activité vaut la peine financièrement parlant et s’il ne remet pas en cause les objectifs liés à la RSE. Pour autant, il est dès aujourd’hui possible d’identifier des perturbations éventuelles à court-terme et à moyen-terme. 

Court-terme : gare aux pénuries et aux perturbations logistiques 

La hausse violente des prix des commodités l’ont prouvé : la guerre en Ukraine génère des tensions importantes sur les ressources, qu’elles soient alimentaires ou servent de matières premières à d’autres industries (minéraux, métaux, polymères, bois…). La crainte des pénuries signe dont son grand retour en Europe, après un cycle 2020-2021 déjà difficile.  

En ce qui concerne le pétrole et le gaz, la volatilité des prix qui a pu être observée reflète le détricotage des partenariats économiques, tacites ou non, des marchés de l’énergie européen et russe. L’impact des tensions sur l’énergie diffère selon les pays, et dépendra également des sanctions supplémentaires qui pourraient être prononcées à l’encontre de la Russie au cours des semaines à venir. 

L’Allemagne et l’Italie, qui dépendent étroitement du gaz naturel russe, risquent d’être impactées plus durement. Les prix des dérivés du pétrole, dont le naphta, devraient quant à eux continuer à augmenter fortement pour l’ensemble des pays européens.  

L’impact immédiat est également conséquent pour la filière de l’agrochimie. Les commodités utilisées pour fabriquer des fertilisants, comme l’ammoniaque, ont vu leur prix exploser. Ce phénomène a, une fois de plus, démontré l’importance de la Russie et de la Biélorussie pour le marché de la chimie au sens large. Les conséquences du conflit se font, en tout cas sur ce front, sentir jusqu’au Brésil où les agriculteurs ont du mal à s’approvisionner en fertilisants. L’Ukraine est quant à elle une grande exportatrice de blé et de maïs. La guerre a provoqué l’envolée des prix de ces céréales et l’Egypte, la Turquie et le Nigéria pourraient bientôt faire face à de très graves pénuries alimentaires. 

Il faut également s’attendre à une hausse continue des cours de l’acier et du minerai de fer, la Russie et l’Ukraine étant deux maillons importants de leurs chaînes de valeur. Le marché du néon se caractérisera, lui aussi, par une tendance résolument haussière de ses prix.  

La priorité donnée à l’évacuation, indispensable, des réfugiés rendra quant à elle momentanément indisponibles de nombreux moyens de transport, qu’ils soient aériens, routiers ou ferroviaires. La guerre perturbe également le trafic maritime sur la mer Noire.  

Long-terme : tassement si non-aggravation du conflit 

Les tendances de prix de l’énergie et des matériaux de commodité devraient demeurer haussières, voire précairement stables, d’ici six mois. La production d’éthanol dérivé de produits agricoles est en effet menacée. Les sanctions commerciales à l’encontre de la Russie devraient quant à elles réduire durablement les importations de matériaux stratégiques comme les métaux et certains de leurs produits dérivés, comme les batteries.  

On peut toutefois espérer une stabilisation du cours de l’acier, puisque d’autres régions du monde pourraient choisir d’augmenter leurs volumes de production afin de profiter de l’appel d’air provoqué par l’absence de la Russie. Le recours à l’utilisation du charbon, contraire aux objectifs de réduction des émissions de CO2, pourrait toutefois constituer un frein dans certaines zones.  

Il faudra également du temps avant que les capacités mondiales de production énergétiques ne se rééquilibrent à l’échelle mondiale. Il est donc probable que l’Europe ne soit pas en mesure de stocker suffisamment de gaz naturel pour couvrir ses besoins d’ici à l’hiver 2022-2023. Les cours du gaz et de l’électricité pourraient alors continuer à augmenter. 

La situation des marchés des transports routiers, aériens et ferroviaires devrait se stabiliser si le conflit russo-ukrainien ne connait pas d’escalade majeure. Le trafic aérien pourrait toutefois demeurer perturber aux alentours du territoire russe en raison des sanctions.  

Etapes clés pour améliorer la résilience de ses chaînes d’approvisionnement 

Echapper à l’ensemble des perturbations générées par le conflit russo-ukrainien est impossible. Les entreprises peuvent toutefois adopter des mesures simples, mais qui exigent de prendre du temps pour réfléchir et anticiper, afin de rendre leurs chaînes d’approvisionnement plus résilientes.  

  • Identifier les risques tout au long de ses chaînes d’approvisionnement et corriger les faiblesses une par une. Une évaluation méthodique des risques en s’appuyant sur les données déjà existantes, en partant de la phase de développement des produits, en passant par les achats et la production, jusqu’à la livraison au client constitue un bon point de départ. Une fois les menaces clés identifiées, il conviendra de définir les scenarii possibles et de mesurer leur impact potentiel sur l’activité et sur les clients. 

  • Etablir des tableaux de bords permettant d’identifier de prévoir les éventuelles évolutions de la situation des chaînes d’approvisionnement. Il faut pour cela définir les risques et contrôler régulièrement leurs facteurs d’apparition. On comptera parmi les risques potentiels : l’envenimement des relations commerciales, le rapport entre l’offre et la demande des filières en amont, la santé économique des fournisseurs ou encore les capacités de production d’une zone géographique pour une commodité donnée, et les tensions géopolitiques qui y existent déjà. Une fois cela fait, il convient d’établir un plan pour mitiger les impacts potentiels de ces risques.  

  • Optimiser la traçabilité en cartographiant l’ensemble des matériaux et produits approvisionnés. L’objectif est de garantir une plus grande visibilité pour chaque famille d’achats afin d’améliorer l’efficacité opérationnelle de l’entreprise mais également de maintenir le cap vers l’atteinte des objectifs RSE ou réglementaires qu’elle a pu se fixer.  

  • Améliorer ses stratégies de mitigation pour les risques les plus importants. Il s’agit ici de diversifier les options de mitigation, en particulier pour les risques logistiques, en identifiant de nouveaux trajets possibles ou des moyens de transport plus flexibles. Cela passe également par le renforcement de son réseau, en externe avec les fournisseurs, mais aussi en interne avec toutes les équipes concernées. Des solutions liées à l’Industrie 4.0, comme les produits connectés et la fabrication additive, s’inscrivent dans cette démarche.