Sanctions européennes : le pétrole et le gaz indirectement visés
L’Europe a beaucoup à perdre dans ce conflit, notamment la sécurisation de ses approvisionnements en énergie. Le premier éventail de sanctions annoncé le 25 février dernier par Ursula von der Leyen, la Présidente de la Commission européenne, vise, entre autres, l’accès des industries pétrolière et gazière russes à des catalyseurs clés.
Les exportations russes de pétrole et de gaz ne sont toutefois pas sanctionnées. Ces dernières ont par ailleurs rapporté quelques 24 milliards d’euros de revenus à la Russie en 2019. L’objectif serait en fait d’ « empêcher la Russie de moderniser ses raffineries ». Cette mesure devrait également impacter la filière du gaz naturel, car elle vise les sites responsables de l’extraction des condensats et d’autres hydrocarbures légers.
Les catalyseurs doivent être changés tous les ans à tous les 8 ans selon les sites et en fonction des technologies utilisées. Les fournisseurs européens, parmi lesquels BASF (Allemagne), Haldor Topsoe (Danemark) et Johnson Matthey (Royaume-Uni) ne peuvent donc plus exporter. Reste à savoir si les autres principaux fournisseurs de catalyseurs de la Russie, que sont les groupes étasuniens Chevron Lummus Global and Grace, Albemarle, UOP et Criterion, seront contraints d’en faire de même.
A noter également que la Russie est capable de produire elle-même certains de ces catalyseurs, mais est entièrement dépendante de l’étranger pour d’autres. De son côté, le Royaume-Uni a interdit les exportations d’une large gamme de technologies à haute valeur ajoutée et d’équipements pour le raffinage vers la Russie.
L’UE n’imposait pas, au moment de la rédaction de cet article, de sanctions aux sociétés transportant du pétrole brut à partir des ports russes d’Ust-Luga et de Novorossiysk, et ne cherchait pas non plus à restreindre les achats de gaz produit en Russie. Certaines compagnies n’ont cependant pas attendu que la décision soit prise pour refuser d’envoyer des navires dans ces ports.
Guerre en Ukraine : les Etats-Unis sanctionnent Nord Stream 2
Parce qu’ils ne dépendent pas de la Russie pour leurs besoins en énergie, les Etats-Unis se montrent moins frileux que l’Europe, avec Nord Stream 2 en ligne de mire. De lourdes sanctions visent le fameux pipeline dans lequel ont déjà été investis 11 milliards de dollars, si bien qu’un porte-parole du Département des Etats-Unis a déclaré que ce dernier est désormais « un morceau d’acier qui repose au fond de l’océan ».
Joe Biden annonçait le 23 février son intention d’imposer des sanctions à la société chargée de construire le pipeline Nord Stream 2. Les Etats-Unis visent également ses dirigeants de l’entreprise et les leaders derrière le projet. Nord Stream 2 AG, la société en question, est basée en Suisse mais est détenue par Gazprom, le géant gazier russe. Gazprom possède la totalité du pipeline mais n’en a payé que la moitié, le reste des investissements venant de Shell, d’OMV (Autriche), d’Engie (France) et des groupes allemands Uniper et Wintershall DEA.
Une décision qui fait écho à celle de l’Allemagne, qui a interrompu le projet le 22 février 2022. Le pipeline pourrait en effet approfondir la dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Russie sur les questions énergétiques. Un projet auquel s’était d’ailleurs opposé Volodymyr Zelensky, le Président ukrainien, en 2021.
En bref, les Etats-Unis ont décidé de bloquer et de geler toutes les propriétés et actifs basés aux Etats-Unis détenus ou contrôlés par les individus liés au projet Nord Stream 2. Les propriétés et actifs liés au projet mais basés ailleurs dans le monde et détenus par des citoyens des Etats-Unis sont également visés. Sont particulièrement exposés Matthias Warnig, le CEO de Nord Stream 2 AG, ainsi que les autres dirigeants de la société.
C’est la première fois que les Etats-Unis appliquent des sanctions directes au projet Nord Stream 2. Les mesures précédentes visaient les entités engagées dans la construction et la certification du pipeline et avaient ainsi retardé sa livraison de deux ans.
Et si la Russie coupait le gaz à l’Europe ?
Moscou a besoin des fonds générés par ses ventes de pétrole et de gaz pour financer son effort de guerre, mais ces énergies sont celles qui permettent à l’Europe de garder les lumières allumées en hiver. Il apparaît donc que les sanctions pouvant impacter le plus lourdement la Russie sont également le plus difficiles à imposer pour l’Europe.
L’Allemagne, la Pologne et la Hongrie font partie des Etats membres de l’UE les plus dépendants au gaz naturel russes, alors que la France, l’Italie et les Pays-Bas en consomment bien moins. La progression de l'armée russe sur le territoire ukrainien aura par ailleurs des répercussions immédiates pour le marché européen de l'énergie. Des volumes considérables de gaz naturel transitent par l'Ukraine et les pays d'Europe de l'Est et d'Europe Centrale se voient ainsi exposés à des ruptures d'approvisionnement. De telles perturbations entraîneront de nouvelles hausses de prix pour tout le continent.
Et si la Russie nous coupait le gaz ? Celle-ci est déjà accusée depuis plusieurs mois de manipuler les flux de gaz naturel destinés à l'UE pour faire pression sur cette dernière dans le cadre de son conflit avec l'Ukraine. Pour rappel, 40% du gaz naturel consommé en Europe provient de Russie, et une grande partie de ces volumes sont acheminés via l'Ukraine.
Selon le cabinet Wood Mackenzie, un arrêt des importations de gaz russe obligerait l'Europe à activer tous les leviers existants pour couvrir ses besoins en énergie, c’est-à-dire exploiter les centrales nucléaires et les centrales à charbon au maximum de leurs capacités pour justement éviter de brûler du gaz. Une coupure prolongée empêcherait également la reconstitution des stocks pendant l'été, et donc un hiver 2022-2023 particulièrement difficile et coûteux.
De telles conditions pourraient encourager les filières industrielles les plus énergivores à ralentir leur activité. La pétrochimie en fait partie. Les plasturgistes européens sont donc exposés à une double peine : d'une part l'augmentation des coûts énergétiques qui pèse sur leurs marges, et d'autre part le risque de voir les pénuries de polymères s'aggraver à nouveau.