La pétrochimie dans le rouge : quelles conséquences pour les prix du plastique ?

9 novembre 2022
La vulnérabilité de l’Europe aux risques pesant sur ses approvisionnements d’énergie s’est retrouvée au premier plan de l’actualité tout au long du 3ème trimestre 2022, alors que la Russie réduisait ses exportations en réponse aux sanctions occidentales. Le risque géopolitique a impacté bien des secteurs, et la pétrochimie n’y a pas échappé.

Des résultats en berne pour la pétrochimie

Plusieurs majors du secteur ont récemment publié leurs résultats pour le 3ème trimestre 2022. Tous indiquent être dans le rouge et prédisent une situation encore plus difficile pour la fin de l’année. La crise européenne de l’énergie est presque systématiquement évoquée.

Mauvaises surprises pour SABIC

C’est la surprise à Riyadh. SABIC, le géant de la pétrochimie détenu par le plus grand encore Saudi Aramco, annonce une baisse de ses profits au 3ème trimestre 2022 par rapport à la même période de l’année précédente. Ces derniers auraient en effet décliné de 67%, alors que son CA a progressé de 7% sur la même période pour atteindre 47 milliards de riyals saoudiens.

Si les analystes s’attendaient bien à ce que les profits de SABIC ralentissent, la chute anticipée était bien plus timide. Conséquence : la valeur des actions du pétrochimistes ont chuté de 2% le dimanche 30 octobre dernier.

Plusieurs raisons se cacheraient derrière les résultats décevants de SABIC. Il faut en effet tenir compte de l’augmentation des coûts des matières premières, mais aussi de la contraction de l’économie chinoise et au déclin de la demande de la zone euro. En résumé, la politique Zero-Covid en Chine et la guerre en Ukraine viennent perturber l’activité du géant de la pétrochimique.

Les performances de SABIC pour les 9 derniers mois ne sont guère plus encourageantes : ses profits auraient chuté de 10% pour atteindre « seulement » 16 milliards de riyals saoudiens (environ 4,3 milliards d’euros). Le groupe attribue ce déclin à la baisse des prix et des volumes de vente, ainsi qu’à une réduction du CA de ses différentes coentreprises et filiales. SABIC a d’ailleurs annoncé s’attendre à subir de nouvelles pressions sur ses marges au 4ème trimestre 2022.

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Effondrement des profits pour LyondellBasell

La hausse des coûts de l’énergie et le tassement de l’économie européenne ont rattrapé LyondellBasell au 3ème trimestre 2022. Ses revenus nets se sont chiffrés à 574 millions d’euros, soit moins d’un tiers du montant réalisé à la même période de l’année précédente. Son EBITDA (revenus d’une entreprise avant soustraction des intérêts, impôts, dotations aux amortissements et provisions sur immobilisation – proche de l’EBE en français) s’est quant à lui effondré de 59%, et ses ventes ont également baissé de 3.5%.

LyondellBasell ne prédit pas d’amélioration de la situation d’ici la fin de l’année. Pour lutter contre ce déclin, le pétrochimiste prévoit de lancer un programme d’« accroissement de la valeur » et de réduire le rythme de production de plusieurs de ses sites. Ces derniers ne devraient plus produire qu’à 60 ou 75% de leurs capacités au cours du 4ème trimestre.

On notera également que la performance du groupe a fortement varié en fonction des régions du monde. Les ventes ont ainsi été particulièrement mauvaises en Europe et en Asie. Les activités liées aux oléfines (éthylène et propylène) ont quant à elles souffert de pertes de marges causées par la hausse des coûts de l’énergie, des arrêts de production, la faiblesse de la demande et la dévaluation de l’euro.

En ce qui concerne les polyoléfines (PE et PP), LyondellBasell aurait été dans l’impossibilité de préserver les hauts niveaux de marges dont il a profité en 2021. La demande européenne était en effet trop faible au 3ème trimestre 2022 pour maintenir les prix du plastique. Les opérations du groupe dans le PE et le PP en Europe et en Asie sont ainsi dans le rouge : - 83 milliards d’euros pour ce trimestre, contre +474 milliards d’euros à la même période de l’année précédente.

BASF malmené par les coûts de l’énergie

BASF annonce avoir réalisé un EBIT (résultat avant intérêts et impôts) solide au 3ème trimestre 2022, et ce malgré de « puissants vents contraires ». Ses ventes ont ainsi augmenté de 12% par rapport à la même période de l’année précédente.

Par « solide », BASF entend que le déclin de l’EBIT du groupe sur l’année pourrait être minimisé malgré la détérioration de son environnement économique. L’EBIT du groupe pourrait en effet baisser pour atteindre 1,3 milliards d’euros en 2022, soit 517 millions d’euros de moins qu’en 2021 – selon les estimations actuelles. BASF désigne la forte hausse des cours du gaz naturel en Europe comme responsable de ce phénomène. Le montant des achats de gaz du groupe aurait en effet augmenté de 2,2 milliards d’euros.

Les divisions Chemicals and Materials de BASF sont les plus impactées par le ralentissement économique. Elles ne représentent en effet que 600 millions d’euros à elles deux dans son EBIT. Dans son communiqué, le groupe avertit également que la guerre en Ukraine et le blocage des pipelines de gaz qui en découle impactent durement la profitabilité de l’Allemagne. Pour faire face à la baisse de la demande et à l’augmentation de ses coûts de production en Europe, BASF prévoit d’arrêter temporairement certains sites.

Plus inquiétant encore, BASF veut restructurer et réduire de façon permanente ses opérations en Europe. Si l’on en sait encore peu sur ce projet, il a déjà été annoncé que 500 millions d’euros d’économies devront être réalisés via une réduction de la main d’œuvre.

Huntsman en difficulté en Europe

Si le groupe européen a annoncé une chute de son EBITDA et de ses ventes à l’échelle mondiale pour le 3ème trimestre 2022, il insiste aussi sur le fait que la situation est particulièrement difficile en Europe. C’est en effet dans cette région que les augmentations des coûts de l’énergie ont été les plus importantes. Huntsman semble craindre que cette situation ne se pérennise, ce qui mettrait en danger son activité, ainsi que la compétitivité de l’Europe dans le secteur de la chimie, à moyen/long-terme.

La division dédiée aux polyuréthanes est parmi celles qui ont le plus souffert de la crise de l’énergie. On notera tout de même que la division dédiée à la production des matériaux avancés a vu ses ventes et ses profits augmenter.

Partant de ce constat, Huntsman a, et prévoit, de « réduire de façon significative » ses taux de production et de « réaligner sa structure de coût au-delà des mesures déjà annoncées », dont des programmes d’optimisation des coûts et de restructuration en Europe.

Covestro : les polymères techniques frappés de plein fouet

Les profits de Covestro se sont écroulés au 3ème trimestre 2022, sur fonds d’augmentation jamais vues des coûts de l’énergie et des matières premières. Le groupe enregistre des pertes de marges pour l’ensemble de ses divisions, celle dédiée aux « Performance Materials » étant la plus durement touchée.

Son EBITDA a en effet chuté de 65% par rapport à la même période de l’année précédente, pour atteindre 302 millions d’euros. Son EBIT s’est quant à lui effondré de 90%, toujours sur la même période, pour se chiffrer à 66 millions d’euros. Ses revenus nets ne représenteraient ainsi que 12 millions d’euros. C’est 97,5% de moins qu’au 3ème trimestre 2022.

Les ventes, portées par l’évolution des taux de change et l’augmentation des prix, ont en revanche progressé de 7,3% (4,6 milliards d’euros au total). Les volumes de vente ont cependant rétréci de 5,7% en raison de la faiblesse de la demande. Covestro a indiqué être en passe d’adopter des mesures de réduction de ses coûts, sans toutefois donner plus de détails.

Dans les détails, d’EBITDA de la division « Performance Materials », qui comprend les polycarbonates, les composants uréthanes standards et les produits chimiques de base, a chuté de 92,5% d’une année à l’autre pour se fixer à 53 millions d’euros. Les pertes se chiffres à 107 millions d’euros pour l’EBIT. Covestro note une réduction des volumes de vente, qui vient également peser sur ses profits.

Ralentissement des ventes pour Dow Chemicals

Dow l’avait anticipé, et c’est bien le cas. Ses ventes ont en effet décliné de 5% entre le 3ème trimestre 2021 et le 3ème trimestre 2022. Les bons résultats de la division « Performance Materials & Coatings » n’ont pas suffi à contrecarrer les mauvais résultats des divisions « Packaging & Plastics » et « Intermediates & Infrastructure ».

Les ventes de la division « Packaging & Plastics » ont, elles aussi, chuté de 5% par rapport à la même période de l’année précédente. Les hausses de prix qui ont pu être imposées pour les polymères techniques n’ont pas suffi à amortir les baisses de prix qui ont dû être accordées pour les prix du PE. Ce phénomène aurait entraîné une chute de 11% des ventes nettes.

Jim Fitterling, le CEO du groupe, a souligné dans son allocution aux actionnaires que Dow a pris des mesures rapides pour aligner sa production aux contraintes de ses chaînes d’approvisionnement et du secteur logistique. Les applications à haute valeur ajoutée ont été priorisées et les coûts opérationnels ont pu être réduits.

La situation demeure toutefois difficile pour Dow en Europe, où la crise de l’énergie fait rage, et en Chine, où la politique Zero-Covid bloque l’activité et la demande.

Quelles conséquences pour les prix du plastique en 4ème trimestre ?

Les pétrochimistes européens signent donc, pour la plupart, un troisième trimestre 2022 difficile. Les perspectives pour les trois derniers mois de l’année ne sont guère meilleures, et nombre d’entre eux se préparent à adopter des mesures pour préserver leurs marges.

La chimie allemande face au chaos

La VCI, l’organisation professionnelle représentant l’industrie chimique allemande, tirait la sonnette d’alarme fin septembre 2022. Les chimistes allemands rencontreraient en effet de plus en plus de difficultés à reporter la hausse de leurs coûts de production sur leurs clients. Conséquence : leurs marges et leurs CA sont en danger.

Si les profits de la filière ont bel et bien augmenté de 21,6% au 2nd trimestre 2022, toujours selon la VCI, les coûts de production ont pour leur part progressé de 24,1% au cours de la même période. A cela s’ajoute l’incertitude quant à la sécurité des approvisionnements de gaz naturel de la filière. Le risque est suffisamment important pour que certains acteurs encourent d’être soumis à des mesures de rationnement.

La VCI met en lumière une augmentation moyenne des coûts de production de 26% pour les fabricants allemands de polymères. Un chiffre d’autant plus inquiétant que ces industriels représentent 13% de la valeur de la production de la filière chimie en Allemagne. L’Ifo, l’institut national des statistiques, estimerait quant à lui que le taux d’utilisation des équipements du secteur des plastiques et caoutchouc serait de 80,1%, soit près de 20% de capacités de production sous-utilisées en Allemagne.

La VCI anticipe ainsi un déclin de 5,5% de la production de l’industrie chimique allemande, en comptant la pharmaceutique, en 2022. La chute serait de 8,5% dès lors que l’on ne tient pas compte de cette dernière. Christian Kullmann, le Président de la VCI préfère avertir : « Réduire la production est une première étape. Si certains équipements doivent être totalement arrêtés, il est possible qu’ils ne redémarrent jamais ». A note que la situation de la pétrochimie française, italienne ou espagnole ne doit pas être beaucoup plus enviable.

Prix du plastique : le retour des surcharges énergétiques

Comme évoqué plus haut, les producteurs européens de polymères sont confrontés à une situation difficile et tentent, coûte que coûte, de préserver leurs marges. Si l’on constate des baisses de prix quasi-continues pour la plupart des polymères de commodité (PE, PP, PVC, PS…), toujours est-il que certains acteurs approchent systématiquement le marché avec des hausses de prix. Sans succès jusqu’ici.

La demande n’est en effet pas au rendez-vous pour leur permettre d’imposer de véritables hausses de prix, en particulier quand des volumes importés sont proposés à bon prix et que la concurrence locale accorde des réductions. Ces tentatives marquent surtout le retour des surcharges énergétiques – des montants additionnés aux factures d’achat de polymères des plasturgistes et censés représenter la hausse des coûts de l’énergie.

Les surcharges énergétiques appliquées, dans certains cas des montants à trois chiffres, viennent avant tout annuler la baisse des cours des monomères. Cette manœuvre permet aux producteurs de limiter les baisses de prix. Une tendance qui devrait se répéter en novembre 2022.

Prix du plastique : vers des arrêts de production cet hiver ?

Si la demande européenne de polymère ne devrait pas être au rendez-vous cet hiver, il pourrait en être autant de l’offre. Les organisations représentant la pétrochimie et la chimie à l’échelle du continent ou aux niveaux nationaux communiquent plus ou moins de la même façon. Si la crise de l’énergie devait s’aggraver au cours des prochains mois, des arrêts de production seraient inévitables. Alors, quelles conséquences sur les prix ?