Explosion du coût du fret maritime en un an
La crise actuelle est apparue au début du second semestre 2020. La fin du printemps de l’année dernière s’est en effet accompagnée d’une forte hausse du coût du fret maritime, ainsi que d’une augmentation des délais de mise en disponibilité des conteneurs et de livraison de ces derniers. Derrière ces problèmes se cache en fait un nombre insuffisant de conteneurs et de porte-conteneurs sur le marché mondial. La crise sanitaire avait en effet poussé les compagnies de fret maritime à réduire leur flotte, et elles se sont depuis laissées surprendre par le redémarrage économique de plusieurs pays, dont la Chine.
Conséquence : les prix ont véritablement explosé en un an. Selon ICIS, la location d’un conteneur de 3.7m² (soit le format standard) s’élevait à plus de 15700 euros au début du mois d’août pour un trajet Asie – Europe. Les données recueillies par PIE montrent quant à elles qu’un trajet Asie – Europe du Nord coûtant environ 11800 euros. Les prix sont encore plus élevés pour les trajets Asie – Etats-Unis : plus de 18500 euros selon ICIS pour des livraisons sur la côte est. Les tarifs pratiqués par les compagnies avant la crise sanitaire s’élevaient en moyenne à 2500 euros pour ces trajets.
Si l’explosion du coût du fret maritime est avant tout causée par des problématiques structurelles, il semblerait que les acteurs du secteur n’hésitent pas à invoquer des problèmes conjoncturels pour justifier d’énièmes hausses de prix. L’excuse du manque de conteneurs et de navires semble en effet ne plus convaincre, puisque cette difficulté en particulier pourrait être résolue par une meilleure gestion des flottes par les compagnies incriminées, qui possédaient par ailleurs suffisamment de porte-conteneurs et conteneurs avant la crise pour assurer leur mission.
On se souviendra par exemple de l’Ever-Given, qui s’était échoué fin mars dans le Canal de Suez et avait complètement bloqué la route maritime reliant l’Asie et l’Europe. Ou de la tempête Uri qui avait provoqué la fermeture de nombreux ports clés pour la pétrochimie dans le Golfe du Mexique. Début août, ce sont les cyberattaques survenues en Afrique du Sud et les catastrophes climatiques qui ont conduit à la fermeture des ports de Shanghai et Yangshan qui viennent perturber le marché. Il faut également s’attendre à ce que la nouvelle vague de propagation du coronavirus en Asie génère rapidement de nouvelles perturbations.
Une demande toujours en forte progression
Cette crise a démontré, sinon un certain manque de volonté, l’incapacité des acteurs du secteur à s’adapter à la hausse de la demande pour le fret maritime. Le comportement des consommateurs a en effet changé. Contraints de rester à la maison et voyant leurs déplacements limités, voire interdits pendant plusieurs mois, nombreux sont ceux qui ont décidé d’investir dans leur foyer via le e-commerce. Les commandes d’électroménager fabriqué en Chine pour une livraison vers l’Europe ou les Etats-Unis. Dans le même temps, les industries européennes et nord-américaines ont redémarré, et leurs besoins à l’import aussi.
La pétrochimie fait partie des filières impactées. On observe ainsi une régionalisation de marchés jusqu’ici très internationalisés en raison de coûts désormais prohibitifs – et qui avaient tendance à fermer toute fenêtre à l’import ou à l’export – et de délais bien trop longs.
Si la demande en monomères et en polymères de l’industrie asiatique a fortement augmenté à l’issue des confinements dans la région, est s’est depuis tassée et le marché s’est apaisé. L’offre locale de monomères demeure toutefois excédentaire, et les cours ont tendance à chuter. Dans le même temps, l’Europe a connu de graves pénuries pour de nombreuses substances pétrochimiques, et de nouvelles Forces Majeures sont régulièrement déclarées.
Cette situation constituerait en temps normal une véritable aubaine pour la pétrochimie asiatique, mais les cours du fret contrarient toute volonté d’exporter en masse des matériaux. On observe en effet un approfondissement des écarts de prix entre les différentes régions du monde. Les prix du PP ont par exemple dépassé 2300 euros/tonne aux Etats-Unis en mai dernier. Ils tournaient autour de 2150 euros/tonne en Europe au même moment. Ils étaient environ de 950 euros/tonne en Chine. Il est aujourd’hui moins coûteux d’exporter de l’Europe et des Etats-Unis vers la Chine que dans le sens inverse. Ce phénomène contribue à faire durer les pénuries qui paralysent la plasturgie européenne.
L'été aurait dû permettre un apaisement de ce marché, mais le début du mois d'août laisse entendre que ce ne sera pas le cas. L'automne devrait s'accompagner d'un regain de l'activité à l'approche des fêtes de Thanksgiving, de Noël et, plus tard, du Nouvel An chinois. Il est possible que la crise s'étende sur 2022.
La question de l’emprise chinoise sur le marché du fret maritime international
Il est clair que la Chine a une influence importante sur le marché mondial du fret maritime. Les Etats-Unis l’ont d’ailleurs récemment accusée d’avoir non seulement pris le contrôle de la production de conteneurs et de la fixation des prix de ces derniers, mais aussi de dominer leur location, quitte à les gérer dans les seuls intérêts du pays.
Selon les Etats-Unis, certaines compagnies sont en fait détenues par l’Etat chinois. Cela signifierait que les économies mondiales sont potentiellement dépendantes de ce qui serait un monopole. Carl Bentzel, Commissaire Fédéral Maritime de la FMC, l’autorité maritime des Etats-Unis, a déclaré mener une enquête sur la disponibilité réelle de conteneurs, des châssis intermodaux et des équipements ferroviaires pour déterminer si les Etats-Unis ne sont pas devenus trop dépendants de la Chine pour les matériels de transport.
Bentzel a également expliqué avoir du mal à croire que la Chine ait des difficultés à produire de nouveaux conteneurs en nombres suffisants pour soulager le marché quand toutes les autres filières industrielles ont redémarré en fanfare.
Dans tous les cas, la crise ne semble pas prête de trouver une issue. Les sociétés qui louent les conteneurs aux compagnies de fret maritime, et qui donc les achètent directement aux fabricants, ont pour la plupart fait part d’une vision positive de leur activité jusqu’en 2022. Le manque de conteneurs sur le marché signifie que les compagnies maritimes vont pouvoir augmenter leurs coûts, et que les loueurs pourront donc en faire de même.